Plaidoyer pour la consécration du droit aux loisirs dans les dispositions de la constitution de la deuxième République
Le mot loisir provient du mot latin “ Liceri” (être permis), il signifiait au début du XII siècle la liberté, l’oisiveté. Puis à partir du XVIII siècle il évolue vers le sens de la distraction. Le loisir est l’activité que l’on effectue durant le temps dont on peut disposer en dehors de ses occupations habituelles et des contraintes qu’elles imposent.
Comme la santé, le travail, l’éducation, le logement, le repos, la sécurité sociale…les loisirs apparaissent indispensables à la dignité de la personne humaine. Certains auteurs ont pu écrire que le droit aux loisirs tend même à devenir un bien primaire, c’est-à-dire un bien faisant parti du minimum indispensable. Selon ces derniers, les loisirs apparaissent donc comme un besoin social incontournable dont la satisfaction est conçue comme impérative.
Mais parler d’un droit à la distraction et aux divertissements ne relève-t-il pas de la gageure ? En ce temps où le nombre des chômeurs est à la hausse, où la famine bat son plein dans divers endroits du Monde, où le nombre des pauvres atteint un record jamais égalé, ne serait-il pas plus approprié de se focaliser sur une action visant à endiguer ces phénomènes précités qui malgré tous les garde-fous d’ordre juridique qui ont été mis en place sous forme de droits fondamentaux n’ont pas réussi à les endiguer. Ajouter un nouveau droit à l’arsenal juridique déjà existant servira-t-il à faire changer les choses ?
En effet, la notion des droits en général et des droits de l’Homme en particulier est un tout indissociable ; aucune hiérarchie ne peut être établie en son sein, on ne peut procéder à la défense d’un droit et à la négligence d’un autre sous prétexte de priorité. D’ailleurs, c’est dans ce sens que vers le XX siècle, la liberté entraîna dans son sillage la revendication de multiples droits et de prérogatives que l’on peut ranger sous le pavillon de cette liberté. Il existe une liberté de se reposer, de se délasser, d’interrompre son travail mais il existe aussi une liberté d’accéder aux loisirs (le loisir apparaît donc comme une liberté).
Le droit aux loisirs a cependant mis du temps à se faire connaître, c’est un droit récent ; il est apparu au cours du XIX siècle avec la naissance de la classe ouvrière salariée, d’ailleurs ce droit est toujours allé de pair avec le droit au repos et aux congés payés. Ce sont deux éléments (repos et loisirs) qui se répondent mutuellement.
C’est cette logique de mutualité qui a été reprise par la déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et précisément en son article 24 qui dispose que « toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques ».
Ce droit aux loisirs et au repos est également repris par l’article 7 du pacte international relatif aux droits économiques et sociaux de 1966 et par la convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Le préambule de la constitution française de 1946 (repris par celle de 1958) déclare aussi que « La nation garantit à tous… la protection et la santé, la sécurité mutuelle, le repos et les loisirs ».
Désormais, la notion du droit au repos et aux loisirs est affirmée partout mais méconnue du grand public ; comme on l’a déjà précisé précédemment, il s’agit d’un droit nouveau et il l’est encore plus lorsqu’on affirme que « toute personne a droit aux loisirs ». Il ne faut surtout pas cacher le fait que les loisirs sont considérés (hier comme aujourd’hui) comme un luxe, un droit pour les riches. Or le fait de consacrer ce droit dans des instruments juridiques permet de dépasser ce préjugé clivage et de faire apparaître ce droit comme un droit naturel et complémentaire du travail.
Les instruments juridiques internationaux précédemment cités font partie intégrante de notre ordre juridique tunisien puisque ils ont été dûment ratifiés conformément à l’article 32 de la défunte constitution de 1959 et donc la Tunisie n’est pas restée en marge de la société internationale ; elle s’est inscrite dans ce mouvement, théoriquement uniquement, en se contentant de ratifier sans pour autant y aller de l’avant et faire en sorte que cette notion ait pour pendant dans le droit interne des textes d’accompagnement ayant pour objet de rendre effectif les principes posés par ces instruments internationaux.
L’occasion est alors propice aujourd’hui de penser à intégrer ce droit au repos et aux loisirs dans les dispositions de la constitution de la deuxième république. Une telle disposition constitutionnelle permettra d’élever le rang du droit au repos et aux loisirs au rang de droit fondamental et faire de son respect une obligation qui incombe à l’État. Ceci permettra aussi à tout justiciable de contester une disposition législative qui lui semble en contradiction avec ce droit constitutionnel.
Le droit au repos et aux loisirs doit se lire et se traduire dans les textes comme « donner les moyens d’exercer le droit au repos et aux loisirs ». Obtenir une telle reconnaissance constitutionnelle permettra aux différents opérateurs et aux différentes organisations qui se préoccupent du droit aux vacances d’avoir les moyens de faire partir ceux qui ne partent pas, d’accueillir et d’accompagner les familles et les enfants afin de leur permettre de vivre normalement cette période particulièrement riche sur le plan humain.
Pour atteindre un tel objectif, la bataille au droit au repos et aux loisirs ne doit plus aujourd’hui être l’apanage exclusif des syndicats, c’est aussi un combat politique qui commencera sous la coupole de la constituante le lendemain du 23 octobre 2011.
Le Tourisme, le secteur et ses acteurs, N°0, septembre 2011.
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Mohamed Slim Bouderbala
Avocat Associé
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